PETIT PAYSAN

A-t-on jamais regardé les vaches ? En 2012, Bovines, le très remarquable film d’Emmanuel Gras osait justement s’y atteler avec talent. Petit Paysan plante sa caméra de l’autre côté de la clôture et place le sacerdoce des éleveurs laitiers au cœur de son récit ; du côté de ceux qui, effectivement, regardent le mieux les vaches. Premier film du jeune Hubert Charuel (lui-même fils et petits fils de paysans), cette chronique fort bien documentée (tournée dans la ferme des parents du réalisateur) ne se limite pas à un naturalisme de bon alois. Dès la première scène du film, à l’onirisme frappant, on comprend que le propos de Petit Paysan s’inscrit dans un souffle plus large que la pédagogie propre aux téléfilms sur le sujet. L’œuvre d’Hubert Charuel ose d’habiles détours du côté du film noir (l’abattage clandestin est traité comme un véritable « meurtre »), comme du côté de l’étrange (la contamination de Pierre par la maladie est-elle psychosomatique ?). Tandis que la mise en scène multiplie les effets et nous amène à partager les tourments les plus intimes de Pierre, c’est l’appréhension de la fin d’un monde qui gagne : celui des exploitations agricoles à taille humaine. Pierre est incarné avec un vérisme troublant par Swann Arlaud, jeune comédien issu lui aussi d’une dynastie – mais de gens de théâtre – et dont l’osmose avec le parcours de son personnage hisse Petit Paysan au rang de ces films exemplaires qui marquent leur temps. A-t-on jamais regardé les éleveurs ?⎥Nicolas Milesi