Le Challat de Tunis est de ces films qui arrêtent net l’antienne opposant le cinéma documentaire au cinéma de fiction. En adoptant une forme parfaitement hybride – et qui n’a rien à voir avec le simplisme laminant du docu-fiction – la réalisatrice Kaouther Ben Hania parvient à mettre en image le phénomène de la rumeur. À savoir la part infime de vérité que l’opinion publique boursoufflera des fictions les plus fantasmatiques. En creux, bien entendu, c’est la société tunisienne d’après la révolution – avec sa culture machiste archaïque toujours aussi vivace – que la réalisatrice questionne. Suivie de son caméraman, elle traque l’identité du Challat, presque dix ans après ses forfaits, non sans une persévérance et un courage qui forcent le respect, arpentant une rue tunisienne émaillée de combats de béliers et considérée par bon nombre comme « un piège à péchés ». Vrai geste féministe, ce film donne aussi à rencontrer des femmes pas fatalement victimes et dont les témoignages ajoutent à l’humour corrosif ambiant. Car c’est bien par la dérision que la réalisatrice entend mettre à jour l’hypocrisie dominante autour du statut des femmes tunisiennes. Le quasi-abandon de son but premier – retrouver qui était le Challat de Tunis – devient l’acte de résistance ultime face à des individus qui eurent été fort soulagés de ravaler le « Challat » au rang de fait-divers. Au contraire, la réalisatrice met en forme un objet cinématographique d’une intelligence imparable et assez jouissive. –
Nicolas Milesi
Le challat de Tunis
Réalisateur(s) : Kaouther Ben Hania
Acteur(s) : Kaouther Ben Hania, Jallel Dridi…
Genre(s) : MANIFESTE FÉMINISTE DE TUNISIE
Origine : Tunisie / France / Canada / Emirats Arabes Unis
Durée : 1h30
Synopsis : Tunis, avant la révolution. En ville une rumeur court, un homme à moto, armé d’un rasoir, balafrerait les fesses des femmes qui ont la malchance de croiser sa route. On l’appelle le Challat, «le balafreur». Fait divers local ? Manipulation politique ? D’un quartier à l’autre, on en plaisante ou on s’en inquiète, on y croit ou pas, car tout le monde en parle... sauf que personne ne l’a jamais vu.