Pour nous faire entrer dans la vie du pâle jeune homme en soutane, Bresson choisit de montrer d’abord des choses matérielles : une brouette, un tonneau, le pain qu’il trempe dans du vin sucré pour s’alimenter. Cette figure idéaliste apparaît sous les traits d’un enfant buté, d’une bête apeurée, et c’est le meilleur moyen de nous y attacher. Ses tourments spirituels sont exprimés de la manière la plus physique. Et c’est le pauvre cahier d’écolier du petit curé, couvert d’une écriture fiévreuse, qui tient lieu de fil rouge, avec sa voix off insérée entre les scènes dialoguées.
De la matière abondante du roman de Bernanos, Bresson ne pouvait tirer qu’une épure. Aux épanchements de l’écrivain, il fait correspondre une intensité dramatique, inutilement soulignée par la musique (un défaut qu’il gommera plus tard). Entre la solitude du jeune prêtre et ses confrontations avec la lâcheté des hommes et la cruauté des jeunes filles se creuse un chemin qui prend des allures de calvaire. Chez Bernanos, la foi est une question de vie ou de mort ; son absence, une maladie, voire un crime. Bresson, par la rigueur de sa mise en scène, évoque les grands films muets. La silhouette noire découpée sur la campagne lugubre est celle d’un singulier vampire. Le contraire d’un vampire, en fait : un homme qui se vide en offrant à qui veut sa passion vacillante. ⎥ François Gorin (Telerama)