Dheepan

Les premières réactions faisant suite à l’attribution de la Palme d’Or à Dheepan de Jacques Audiard furent quelques peu teintées d’amertume : c’est une Palme « à l’image de la compétition, faiblarde », « c’est un prix qui récompense davantage le réalisateur que le film », etc… Mais que ces détracteurs ont eu tort ! Dheepan est un film brûlant, et qui s’embrase à mesure qu’il développe sa narration implacable pour terminer dans l’apothéose d’une séquence sauvage brillamment orchestrée par Audiard. Déflagration. Ce feu, il est là dès le début sri-lankais du film qui cloue le spectateur à son fauteuil. En quelques scènes, on comprend la guerre, la misère et le désespoir des réfugiés. La concision narrative est prodigieuse, et c’est pourtant difficile d’opérer ainsi à une construction familiale à l’envers. Car c’est en parfaits inconnus que Dheepan, Yalini et Illayaal vont arriver en France et prétendre être respectivement père, mère et fille s’installant dans une cité française. Il faut dès lors souligner l’immense talent de ces interprètes, non-professionnels, sans qui la construction du lien social à l’écran n’aurait pas été possible. Mais ces liens sont ténus, aussi bien à l’intérieur de cette « famille » que dans la cité. Celle-ci est d’ailleurs théâtralisée magnifiquement, et Audiard confronte les lignes architecturales par un effet miroir. Face à l’extérieur, hostile, l’intérieur oscille entre refuge et piège. Et entre les immeubles, la caméra virevolte. Car s’il s’agit bien du récit d’une intégration sociale plus ou moins institutionnalisée, le film conserve quelque chose de sauvage. C’est ce chien inquiétant à la mouvance féline baigné dans une lumière dorée; ce sont les apparitions d’une jungle onirique à la Weerasethakul ou encore la rage de Dheepan, ancien Tigre tamoul dont l’instinct ressurgit. En prenant une folle ampleur émotionnelle et dramatique tout au long d’un crescendo narratif bien construit, Dheepan est une fulgurance.
⎥Victor Courgeon