Au-delà des montagnes

Au-delà des montagnes

Au-delà des montagnes

Réalisateur(s) : Zhang-ke Jia
Acteur(s) : Zhao Tao, Sylvia Chang, Dong Zijian
Genre(s) : Drame
Origine : Chine, Japon, France
Durée : 2h6
Synopsis : Chine, fin 1999. Tao, une jeune fille de Fenyang est courtisée par ses deux amis d’enfance, Zang et Lianzi. Zang, propriétaire d'une station-service, se destine à un avenir prometteur tandis que Liang travaille dans une mine de charbon. Le cœur entre les deux hommes, Tao va devoir faire un choix qui scellera le reste de sa vie et de celle de son futur fils, Dollar. Sur un quart de siècle, entre une Chine en profonde mutation et l’Australie comme promesse d’une vie meilleure, les espoirs, les amours et les désillusions de ces personnages face à leur destin.

Longtemps en proie à des démêlés avec la censure chinoise (son précédent film, A Touch Of Sin, est toujours invisible en Chine), Jia Zhang-ke signe avec Au-delà des montagnes une œuvre certes toujours attachée à dépeindre le climat social de la Chine moderne, mais sous des atours mélodramatiques apparemment moins dérangeants pour les caciques du régime : ce nouvel opus du cinéaste chinois sortira dans son pays sur une large distribution de… 5300 copies. Pour autant, le réalisateur de Still Life (Lion d’Or en 2006) ne s’est pas départi de sa veine balzacienne, du talent qui est le sien lorsqu’il s’agit de mêler les destins particuliers de ses héros aux soubresauts gigantesques d’un pays hors normes. Sans trop en dire, Au-delà des montagnes s’ouvre au moment du passage dans le 21e siècle et se refermera plusieurs décennies après. Autant préciser qu’entre le début et la fin du film, la Chine a connu une expansion économique sans précédent. Le génie de Jia Zhang-ke est de nous en faire percevoir les vertigineuses conséquences – et inconséquences (les plans saugrenus et chargés d’émotions marqueront les esprits) – en suivant autant que possible le personnage de Tao, incarné par Zhao Tao, comédienne proprement renversante. Les choix faits par cette héroïne, ses aveuglements, ses regrets, ses agissements, n’en finissent pas de renvoyer à la fois à la fragilité d’une Chine qui perd de son âme à force de répondre aux aberrations de la spéculation, tout en révélant dans le même temps la grandeur que la patine du temps procure à la loyauté envers les engagements du passé. Cette dichotomie déchirante s’imprime jusque dans la plastique du film, dont le format change à plusieurs reprises. Depuis les images carrées et saturées du début jusqu’aux cadres en scope et livrés à la perte de repères des séquences finales, Mountains May Depart (titre anglais du film, si évocateur : «même les montagnes peuvent s’en aller»), traduit parfaitement cette crainte que l’immuable finisse par se retrouver en danger, ou tout du moins vidé de son sens. C’est là toute la puissance du plan ultime du film, bouleversant comme une enfance retrouvée à volonté.
Un an après le sublime Sud Eau Nord Déplacer d’Antoine Boutet, qui dépeignait la folie de la gestion de l’eau chinoise, Jia Zhang-ke laisse entrevoir les ruptures profondes qu’un vent d’Ouest a entraîné dans son propre pays. De factures fort différentes mais préoccupés d’avenir, ces deux films utilisent une seule boussole : le très grand cinéma. ⎥ Nicolas Milesi

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