En 2012, Les Bruits de Recife, le premier long métrage de Kleber Mendonça Filho, avait rencontré un grand succès critique et public, en mettant en scène la vie quotidienne d’un quartier de la classe moyenne de cette ville du nord-est du Brésil. En creux, le cinéaste rendait compte de la complexité d’une société à la fois cloisonnée et qui n’a pas perdu le goût de la communauté. Le résultat était un film intrigant, à la bande-son ciselée et qui soulevait bien des aspects irrésolus de la société brésilienne. Quatre ans plus tard, le réalisateur a une nouvelle fois choisi cette ville dont il est natif pour y sonder la société brésilienne. Film tout aussi préoccupé que le précédent par les effets d’un capitalisme décomplexé, Aquarius est d’abord le portrait d’une femme, Clara, qui appartient à une génération antérieure – elle a le même âge que l’immeuble où elle habite – et qui voit son système de valeurs malmené par la modernité et son indifférence aux vertus de la sédimentation. Le scénario a la finesse de ne pas opposer artificiellement les générations (la relation de Clara à son neveu donne lieu aux scènes les plus émouvantes du film), comme il n’oppose pas les disques vinyle aux mp3 ou les albums de photos aux images numériques. Mais il illustre parfaitement l’importance du souvenir et tout ce que la mémoire a d’organique. À l’image de son héroïne, Aquarius prend son temps et c’est un vrai bonheur que de sentir respirer ses protagonistes. C’est la première qualité de ce film adulte, aux personnages charpentés et jamais lisses. Et puis le récit, organisé en triptyque, n’a pas peur des détours scénaristiques et des approximations. Comme dans la vie, les forces en présences sont diffuses, pleines de ces nuances qui demandent du temps pour être perçues. Et si les requins de la spéculation immobilière sont d’abord aussi invisibles que ceux cachés dans les vagues de Boa Viagem, leur radicalité fini par éclater au grand jour, dans une séquence métaphorique impressionnante. Totalement inscrit dans le sillage de Clara, le film doit beaucoup à son interprète, Sonia Braga, qui est de toutes les scènes et à travers qui le film agit. Plus qu’une star brésilienne maîtresse de son élégance naturelle, elle trouve dans Aquarius le statut quasi-iconique d’une mère-courage qui entre en résistance. Et c’est galvanisant jusque de ce côté-ci de l’Atlantique. ⎥ Nicolas Milesi
AQUARIUS
Réalisateur(s) : Kleber Mendonça Filho
Acteur(s) : Sonia Braga, Maeve Jinkings, Irandhir Santos
Genre(s) : Drame, Thriller
Origine : Brésil, France
Durée : 2h25
Synopsis : Clara, la soixantaine, ancienne critique musicale, est née dans un milieu bourgeois de Recife, au Brésil. Elle vit dans un immeuble singulier, l'Aquarius construit dans les années 40, sur la très huppée Avenida Boa Viagem qui longe l’océan. Un important promoteur a racheté tous les appartements mais elle, se refuse à vendre le sien. Elle va rentrer en guerre froide avec la société immobilière qui la harcèle. Très perturbée par cette tension, elle repense à sa vie, son passé, ceux qu’elle aime.